Séisme: Témoignage d’Augustin Théodore Debsi, étudiant à l’IFG qui se trouvait à Hatay pour son travail de terrain où il a été pris dans l’enfer du tremblement de terre.

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Quand la terre a commencé à trembler, je me suis réveillé sans comprendre ce qu’il se passait. J’ai foncé vers la porte pour la déverrouiller mais je n’y arrivais pas. Là j’ai compris que l’on vivait un séisme et au même moment, il y a eu un énorme bruit comme un orage.

Je me suis entendu hurler d’effroi et mon nez, ma gorge et mes yeux ont été envahis par quelque chose qui m’a étouffé. Ma tête a commencé à tourner, et en titubant sur le sol en mouvement, je suis allé ouvrir une fenêtre et j’ai respiré l’air frais.

J’ai failli m’évanouir. La terre ne tremblait plus et je suis tombé sur les genoux. Dans le noir j’ai marché à quatre pattes sur le sol poussiéreux pour trouver mon téléphone et mes lunettes. Et là j’ai entendu de la chambre à côté « Aidez-nous on est coincés ! »

J’ai allumé ma lampe torche et j’ai constaté que les grosses pierres du mur de ma chambre s’étaient éparpillées sur le sol et que le toit était ouvert. J’ai entendu d’autres voix dire « Est-ce que ça va ? » mais je n’arrivais plus à parler.

Et puis il y a eu ces lampes torches qui m’aveuglaient et mes voisins de chambre me demander si ma porte s’ouvrait. Une fois que j’ai réussi à l’ouvrir ils sont passés par la tonne de gravats dans ma chambre pour sortir. Je suis allé dans la cour pour reprendre mes esprits.

Et la terre s’est remise à trembler faiblement. Je me suis précipité sous une table comme il est recommandé de le faire. Ça s’est calmé. Puis à 4h30 de nouvelles secousses violentes nous ont frappés.

Un de mes colocataires m’a installé dans sa chambre qui n’a pas subi de dégâts majeurs et m’a donné eau, couverture, à manger, des chaussures. Je n’avais pas faim, il m’a dit « Mange car on ne sait pas quand il y aura de la nourriture disponible » alors j’ai mangé.

Il m’a fait allonger sur un lit et m’a couvert de plusieurs couvertures chaudes. Mais à chaque petite secousse, je fonçais dans la cour de peur que le plafond ne s’écroule sur nous.

Comme je ne trouvais pas le sommeil, j’ai commencé à retourner dans ma chambre pour prendre progressivement mes affaires. Une fois tout pris, il me manquait juste la bague de fiançailles de mon grand-père antiochéen et la chevalière de ma grand-mère bretonne.

J’ai cherché sur le bureau tout boueux (la pluie tombant abondamment dans la chambre) tout en entendant le toit craquer, suspendu au dessus de ma tête. J’ai pu retrouver mes bagues dans des boules de boue et une fois fait j’ai couru pour sortir de la chambre.

La lumière du jour est arrivée et quelques voisins sont venus me voir. Tous les résidents commençaient à partir mais moi j’étais resté avec mes affaires ne sachant pas où aller. Alors je suis resté des heures assis dans le froid face à mes affaires.

Je n’entendais pas un bruit, rien. Et soudain j’ai voulu aller voir dehors. J’ai vu que l’on était bloqués de tous les côtés car les bâtiments autour du mien s’étaient effondrés sur la rue.

À 9 heures du matin j’ai entendu des sirènes au loin entrecoupées de bruits d’immeubles qui s’effondraient et de la terre qui tremblait. Trois hommes ont frappé à la porte et m’ont ordonné de sortir, d’aller à la mosquée où les gens se réunissaient.

J’ai grimpé les décombres en pyjama pour aller me réfugier à la mosquée Sarımiye qui avait perdu son minaret. Elle était pleine, il n’y avait plus de place pour moi.

Alors j’ai commencé à vagabonder dans la rue comme des centaines de gens. Tout ce que j’avais connu a été détruit. J’ai vu des blessés, des gens essayant de soulever des gravats pour trouver des survivants. Il y avait des feux de camps allumés pour nous réchauffer.

Les chaises des bars étaient disposées en cercle à l’extérieur autour du feu et les gens apportaient des couvertures et de l’eau. Les chiens errants, la tête baissée se réchauffaient aussi. « Pourquoi on ne peut pas rentrer ? »

On m’a répondu qu’un deuxième séisme était attendu. Alors j’ai couru vers la mosquée Habib-i Neccar où, devant, il y a un grand espace où les bâtiments ne pourraient pas m’ensevelir s’ils s’écroulaient.

La pluie tombait, les gens étaient à la terrasse des cafés sous les parasols. Il y avait des hurlements et des pleurs, la mosquée était pleine à craquer. On m’a dit que tout Antakya a été touchée par le séisme et qu’aucun secours n’est venu pour l’instant. Il était presque 11h.

J’ai décidé de retourner dans la maison prendre mes valises et partir chez mon oncle qui m’avait proposé de m’héberger en cas de problème. Là dans mon malheur, j’ai eu un rayon de soleil. Un Anglais, Damian O’Brien, arrivé par hasard à Antakya, m’a aidé.

Il était à l’aéroport quand il y a eu le séisme. Le tarmac s’est gondolé et a soulevé les avions, puis il s’est craqué. Il m’a accompagné et a porté mes valises, puis nous sommes allés au quartier de Sümerler chez mon oncle.

Il n’y avait plus personne dans les bâtiments. Les gens chargeaient leurs voitures pour partir. Alors nous avons chercher un taxi mais il n’y en avait plus. Nous avons longé le fleuve Oronte et j’ai tristement vu l’ampleur des dégâts.

Le bazar s’était effondré sur lui-même. Au nord de Antakya, nous avons désespérément cherché quelqu’un allant vers Adana. Une fois là-bas nous irions vers Ankara pour rentrer chez nous. Personne n’a voulu nous aider et les gens devenaient agressifs.

Nous avons attendu en tournant pour trouver un véhicule dans ce brouhaha qui mêlaient cris de colère, de détresse et de chagrin.

Et là il y a eu un autocar qui est arrivé et avec Damian nous avons foncé et l’avons arrêté en nous mettant devant. Il allait à Ankara et acceptait de nous prendre : nous étions sauvés.

Les routes étaient pleines à craquer et nous avons mis plusieurs heures à sortir du Hatay. Entre Antakya et Belen, tous les villages ont été détruits. À Belen dans la montagne, la situation semblait épargnée mais comme la région n’avait plus d’électricité et de nourriture.

Les gens faisaient la queue devant les seuls supermarchés ouverts. Des queues interminables de gens désespérés. Les routes étaient fissurées, craquées voire éventrées. C’était un triste spectacle.

Et dans la montagne, les voitures roulaient au ralenti. Nous étions toujours sous la menace d’un nouveau séisme et s’il nous frappait, nous n’aurions pas survécu aux éboulements. Une fois à Adana, j’ai retrouvé du réseau internet et téléphonique.

J’ai vu énormément d’appels en absence, des messages affolés de mes proches en France. Je m’en suis sorti. « Et la famille ? » C’est vrai, et la famille ? Je croyais être sain et sauf mais à ce moment-là, j’ai compris que ma tête ne sera plus tranquille.

J’essayais de prendre des nouvelles mais dans le Hatay il n’y avait plus d’électricité donc je ne pouvais pas savoir s’ils allaient bien ou non. Petit à petit, j’ai appris les mauvaises nouvelles : eux aussi étaient bloqués sous les décombres, comme des milliers de Hataylı.

Voir toutes les images du Hatay et des autres régions frappées, voir le nombre de décès augmenter m’a bouleversé. Arrivé à Ankara à 4h du matin après avoir été bloqués par une tempête de neige à Tarsus, je n’ai pas réussi à dormir.

Tous les gens de Antakya que j’ai connu, tous ceux que j’ai vu, qu’est-ce qu’il leur est arrivé ? Ont-ils survécu ? Sont-ils à l’abris ? Je ne sais pas, et à part les membres de ma famille, pour tous ceux que j’ai rencontré durant mon court séjour, je ne le saurai jamais.

Antakya, Antioche la sublime des Grecs, la rivale de Rome, la forteresse des croisées, celle qui s’est battue pour rejoindre la Turquie n’est plus qu’un tas de ruines avec des gens qui errent dans les rues et des fantômes assis sur les gravats.

Une fois à Ankara, j’ai appelé l’ambassade de France pour savoir s’il y avait un rapatriement des rescapés. À part un gentil mot de compassion, j’ai appris qu’il n’y aurait rien d’organisé et que je devais me débrouiller moi même pour rentrer en France.

J’ai vraiment besoin d’extérioriser tout ce que j’ai vu et ressenti car je sens que ça peut me ronger si je ne le fais pas.

Augustin Théodore Debsi

@atngriverdi_

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