Turquie 2013-2018 : années décisives, années incomprises / Xavier Raufer / Sécurité Globale

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De la fin 2018 à la présente année 2023, l’alliance entre le parti pantouranien MHP et l’AKP tout dévoué à son chef R. T. Erdogan, s’est approfondie. La justice turque a libéré divers « parrains » mafieux proches des « Loups gris », comme Alaatin Cakici, et le MHP a renforcé ses positions dans l’appareil régalien turc (justice, forces de sécurité, certains pans de l’armée). L’AKP est devenue plus nationaliste et le MHP, dont le pantouranisme d’origine privilégiait le chamanisme ancestral des Turcs (il suffit de voir ses symboles) s’est rapproché de l’islam. Ainsi, pour l’instant, la « synthèse turco-islamique » en est-elle renforcée.

*** Les lecteurs peu informés des récents soubresauts sécuritaires de la Turquie liront d’abord avec profit l’annexe « État profond, Susurluk, Ergenekon ».

Xavier Raufer, Sécurité globale 2023/4 (N° 36), pages 43 à 74 [1]

Rappel

  •  La Turquie est plutôt solide ; dotée d’un vrai cadre national ; d’une gendarmerie et d’une armée de terre, disciplinées. De même qu’en France, l’État (monarchique, puis républicain) a créé et structuré la nation ; en Turquie, l’armée post-ottomane a de toutes pièces créé l’État turc : modèle républicain, lieu de la capitale, laïcité, alphabet latin, droit européen, etc. D’où le patriotisme turc – d’autant plus vif qu’à regarder la carte, on voit que le voisinage de ce pays est épouvantable : Syrie, Iran, Irak, etc.
  • La « synthèse turco-islamique » concerne la sphère privée et les fastes officiels : à Ankara ou Istanbul, pas plus de femmes avec foulard qu’à Paris, les seules voilées de pied en cap sont des touristes du Golfe ; les niqab sont interdits, comme tout acte de piété sur la voie publique. Rejetons donc le paresseux cliché faisant de R. T. Erdogan « un islamiste », sottise suscitant de graves erreurs stratégiques. Hilare, un ami haut fonctionnaire turc parfaitement francophone à qui j’évoquais l’islamisme d’Erdogan me répondit ainsi « Oui, oui, il est islamiste comme Mitterrand était socialiste ».
  • Mutation conservatrice de la doctrine d’Atatürk, la synthèse turco-islamique est un patriotisme ouvert aux peuples turcophones de l’Asie centrale ; s’il ressemble à quoi que ce soit en Europe, c’est au salazarisme (système national-catholique portugais), ou à une sorte de franquisme où le catholicisme et la Hispanidad laisseraient place à l’islamo-kémalisme. De fait, Atatürk brocardait l’islam après boire mais a toujours ménagé les confréries (Cemaat) soufies de l’armée ottomane, puis turque. Dans la décennie 1940, le 3e personnage de l’État kémaliste est ainsi le maréchal Fevzi Cakmak (1876-1950), dignitaire de la confrérie Nakshbandi.
    Depuis leu putsch raté de juillet 2016, cette « synthèse turco-islamique », est implicitement la doctrine d’Ankara. Rejet de l’Occident (Etats-Unis, Europe) et indépendance nationale, piété personnelle et patriotisme turco-ottoman : débarrassé de l’islamisme supranational des Frères musulmans de Fetullah Gülen, R. T. Erdogan prône une doctrine nationale-religieuse associant la base de l’AKP, où piété et patriotisme se confondent, le courant nationaliste (MHP, « Loups Gris », « bandits patriotes », etc.) et les « Eurasistes », puissants dans l’armée, prônant l’axe Moscou-Ankara.
  • Réalisons l’explosion de la puissance industrielle et commercial turque, ces trente dernières années : sur la rive européenne d’Istanbul, des quartiers d’affaires cinq fois vastes comme La Défense à Paris ; sur sa rive asiatique, en place de la jadis somnolente banlieue d’Üsküdar, une métropole high-tech, cinq fois Dubaï. Ankara, jadis triste copie de Sarcelles, désormais mégapole de quatre millions d’habitants ; Gaziantep, proche de la Syrie, 2 millions d’habitants et une industrie à la chinoise, dopée par les industriels syriens exilés, etc. Demain (d’où l’intérêt de RT Erdogan pour les BRICS, l’Organisation de coopération de Shanghai, etc.) la Turquie favorisera un système hors-dollars d’échanges internationaux (Chine, Russie, etc.).
  • La forte armée turque (700 000 hommes, dont 50% de réserves structurées) est depuis 70 ans configurée OTAN : armements, protocoles, transmissions, etc. – impossible de quitter ça à court terme. Officiers turcs et cadres des services spéciaux sont attachés au familier cadre OTAN. Mais dans l’OTAN, l’armée turque (la 2e en importance de l’alliance) peut jouer les trouble-fête. De plus, la Turquie a sur son sol une masse d’installations, dispositifs et engins américains, dont 50 à 90 bombes nucléaires tactiques à la base d’Incirlik (proche d’Adana,  sud), des radars couvrant Israël (potentiels tirs depuis l’Iran), etc.

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