Turquie : face à une inflation à trois chiffres, la mairie d’Istanbul ouvre des restaurants à bas prix – Les Echos/Timour Ozturk

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« Le maire de la métropole turque, Ekrem Imamoglu, a inauguré en quelques mois trois cantines municipales. Le prix des repas défie toute concurrence, alors que l’inflation des denrées alimentaires dépasse 100 % sur un an » dit Timour Ozturk dans Les Echos du 22 décembre 2022.

Le long des rails du tramway, dans l’arrondissement central de Fatih, le Kent Lokantasi se distingue des autres commerces qui bordent la bruyante avenue Turgut Ozal. Une devanture rouge vif sur laquelle se découpe en blanc le logo de la mairie d’Istanbul, et une longue file d’attente de clients qui s’étend de la caisse à la porte d’entrée. « Et encore, aujourd’hui, il n’y a pas trop de monde ! Il y a des jours où la queue continue dans la rue », relativise Remziye, la trentaine, employée de cette cantine municipale.

Mais la principale différence de ce restaurant avec les autres établissements de son quartier réside dans le prix de son menu : 29 livres turques, soit un peu moins de 1,50 euro pour un repas complet. Un tarif imbattable alors que la Chambre de commerce d’Istanbul estime en novembre la hausse des prix sur un an à 105 % dans la capitale économique turque. Selon l’Institut statistique de Turquie, qui calcule l’inflation à 84 % sur un an, le coût des denrées alimentaires en particulier a augmenté de 102,5 % depuis novembre 2021.

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Au Kent Lokantasi, la carte change quotidiennement. A l’entrée, les plats du jour sont inscrits à la craie sur un tableau. Ce jour-là, c’est soupe de tomate au fromage, ragoût de boeuf aux haricots verts, börek (une pâtisserie salée traditionnelle), et salade de carottes râpées et de noix au yaourt.

Trois cantines inaugurées

Seref, chauffeur de bus, est attablé avec un collègue pour sa pause méridienne : « Je viens depuis l’ouverture. Dès que je suis dans le quartier, je déjeune ici parce que c’est très peu cher », raconte ce Stambouliote de 49 ans en mâchant un morceau de pain. Il regarde son plateau et estime le prix que lui aurait coûté le même menu ailleurs : « L’entrée et le plat principal 115 TL, avec le dessert 130, ça pourrait même monter en tout à 150 dans certains coins. » Payé au salaire minimum comme 43 % des salariés en Turquie, Seref gagne 5.500 TL par mois, soit environ 276 euros.

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« Nous avons beaucoup de clients qui viennent tous les jours. Des lycéens, des étudiants, des infirmières, des policiers, tout le monde vient manger chez nous », explique avec fierté Remziye. Le restaurant municipal qui l’emploie sert 900 personnes par jour entre midi et 20 heures. Située dans l’arrondissement de Fatih, le centre historique d’Istanbul, cette cantine a été la première inaugurée, à l’été dernier. Depuis, deux autres ont ouvert leurs portes à Bagcilar et Sultanbeyli, deux districts excentrés et populaires d’Istanbul.

Un enjeu électoral

Gönül, employée dans une pharmacie, est conquise par la formule proposée par la cantine municipale de Fatih : « Tout est très bon et le prix est vraiment très abordable. Dans le commerce, les prix se sont envolés. Les étiquettes changent tous les deux jours dans les magasins. L’économie turque a coulé. Si ce gouvernement est reconduit, ça ne pourra qu’empirer. » L’action sociale du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, souligne le bilan économique très contrasté du président Erdogan ces dernières années.

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Le maire d’opposition n’hésite pas à se mettre en scène pour les caméras derrière les marmites, louche de soupe à la main, lors des inaugurations de ces cantines municipales. Il soigne son image de serviteur des classes populaires frappées par la crise.

Car bien que récemment condamné en première instance par la justice turque à 2 ans et 7 mois de prison assortis d’une peine d’inéligibilité pour « insulte » aux membres du Haut Conseil électoral turc, l’édile kémaliste (du CHP, le Parti républicain du peuple) n’en reste pas moins l’un des potentiels candidats de l’opposition face à Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle du printemps 2023. Il a fait appel de sa condamnation, repoussant une éventuelle application de sa peine à l’issue de son recours.

Les Echos, 22 décembre 2022, Timour Ozturk

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