Le conservateur Nikos Christodoulides, ancien ministre des affaires étrangères, élu président de Chypre – Marie Jégo / LE MONDE

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Marie Jégo informe dans un article du Monde du 13 février et depuis Chypre Sud que « l’ex-diplomate, soutenu par le chef d’Etat sortant et par l’Eglise orthodoxe, l’a emporté avec près de 52 % des voix sur le centriste Andreas Mavroyiannis ».

Sourire triomphal aux lèvres, serrant les mains de ses partisans, l’ancien chef de la diplomatie chypriote Nikos Christodoulides a célébré sa victoire à l’élection présidentielle de Chypre dans son QG de campagne à Nicosie, dimanche 12 février.

Avec 51,92 % des voix en sa faveur, l’ancien diplomate, un conservateur de 49 ans, est le second plus jeune président de Chypre, après Spyros Kyprianou élu en 1977 à l’âge de 45 ans. Il a vaincu de peu son rival, le centriste Andreas Mavroyiannis, un autre diplomate chevronné, ancien ambassadeur à Paris, qui a remporté 48,08 % des suffrages au terme d’une campagne riche en suspense.

Remerciant ceux qui avaient cru en lui « depuis le début », il a promis de répondre aux attentes des électeurs concernés par le coût de la vie, l’immigration clandestine et la partition de l’île, en vigueur depuis quarante-neuf ans. Il a également fait référence à l’appel téléphonique reçu du président Emmanuel Macron, gage des « relations excellentes » nouées avec la France.

Economie stabilisée

« Nous pourrons relever les défis seulement si nous travaillons ensemble », a déclaré M. Christodoulides, promettant au plus vite « un gouvernement formé sur la base d’un large consensus social ». Charismatique, brillant orateur, l’homme est apprécié de la classe politique conservatrice et aussi de l’Eglise orthodoxe, « ce qui compte beaucoup à Chypre », souligne le sociologue Nicos Peristianis.

Se décrivant comme « indépendant », il a toujours été le poulain du président sortant, Nicos Anastasiades. Fin politique, il jouit d’un puissant réseau de soutiens dans la société. Il hérite d’une économie stabilisée, dotée d’un faible taux de chômage, et d’une inflation (9 % sur un an) restée dans la moyenne européenne, malgré la pandémie et la perte d’un million de touristes russes.

Un manque à gagner consécutif à la mise en place des sanctions que la République de Chypre, membre de l’Union européenne, a respectée, malgré un fort tropisme russe. « Chypre était le seul Etat de l’Union européenne ayant conservé une coopération de défense avec la Russie après l’annexion de la Crimée par Poutine en 2014, explique un diplomate occidental. Des bâtiments militaires russes faisaient régulièrement escale dans les ports chypriotes. »

Limassol, surnommée « Limassolgrad »

Tout a changé après l’invasion de l’Ukraine en février 2022, « les autorités ont alors pris la décision courageuse de renoncer à cet accord avec la Russie et plus aucun bateau russe ne fait escale ici ». En aparté, la population et les politiciens peuvent individuellement condamner les sanctions mais les obligations communautaires ont été remplies.

Entre 50 000 et 60 000 Russes ont le statut de résidents permanents sur l’île. Depuis l’invasion de l’Ukraine, environ 15 000 y ont trouvé refuge, certains ont ouvert des entreprises. Résultat, à Limassol, surnommée « Limassolgrad », les prix de l’immobilier ont grimpé en flèche. « Rien n’a vraiment changé, l’argent russe est toujours là, des milliards de dollars ou d’euros gelés, et les riches Russes continuent de rouler carrosse sur l’île. Ils se moquent pas mal des sanctions », déplore le journaliste Andreas Paraschos.

Les détracteurs de Nikos Christodoulides soulignent qu’il a longtemps été proche de la direction russe. « Il est aussi très proche des Américains », constate le diplomate occidental. Le scandale des « passeports dorés », un schéma d’octroi express de passeport européens, à des oligarques russes surtout, en échange d’investissements sur l’île, l’a légèrement éclaboussé mais pas au point de compromettre sa victoire.

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Révélé et documenté, notamment par Makarios Drousiotis, un ancien conseiller de l’ex-président Nikos Anastasiades, ce programme des passeports, par la suite annulé, a quelque peu entaché l’image du gouvernement sortant dont M. Christodoulides a été le porte-parole (2014-2018), puis le ministre des affaires étrangères (2018-2022).

« On peut dire que ce gouvernement avait investi dans la corruption »,estime Georgios, retraité, la soixantaine, qui ne souhaite pas donner son nom. « Le principal souci de ce gouvernement était de satisfaire les richissimes Russes, au point de modifier les lois pour leur plaire », blâme-t-il. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Chypre offre des « passeports en or » aux investisseurs étrangers

« On a vu des situations inimaginables, des passeports délivrés en deux semaines au plus offrant, bref des choses indignes d’un Etat sérieux », poursuit le retraité, attablé à la terrasse d’un café non loin du square de la Liberté, au centre de Nicosie. C’est pour cette raison, qu’il a voté pour Andreas Mavroyiannis, jugé « plus propre ».

« Zéro tolérance » envers la corruption

Samedi, Katherine Cléridès, la fille de feu l’ancien président Glafcos Cléridès, aux manettes de 1993 à 2003, avait appelé à voter pour le candidat de l’opposition, dénonçant les divisions au sein du parti DISY, fondé jadis par son père, ainsi que les malversations du gouvernement sortant, issu de ce même parti. Résolu à atténuer cette ombre, le nouveau chef de l’Etat a promis « zéro tolérance » envers la corruption.

Autre sujet délicat, la reprise des pourparlers pour la réunification de l’île, sur laquelle M. Christodoulides est resté vague pendant sa campagne, avant tout parce que les partis nationalistes et conservateurs (DIKO, EDEK, DIPA) qui l’ont soutenu, ainsi qu’ELAM, la formation d’extrême droite (6 % des voix au premier tour), sont défavorables à une solution.

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Or ces partis pourraient obtenir des ministères-clés dans le nouveau gouvernement, ce qui augure mal d’une reprise des négociations avec les Chypriotes turcs installés au nord du pays, dans la République turque de Chypre du Nord, reconnue seulement par Ankara.

Le Monde, le 13 février 2023 par Marie Jégo (Nicosie envoyée spéciale).

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